Petite anecdote un peu cocasse, mais plutôt déstabilisante;
J'avais peut-être vingt ans, je venais tout juste de survivre à ma première grande peine d'amour. Le genre de peine qui me décourage et me laisse un goût amer, comme si toutes mes tentatives de me tailler une place dans le monde, de réaliser mes rêves, échouaient.
J'habitais avec ce gentil petit ex-copain, ex-homme-de-ma-vie, depuis presque deux ans quand, suite à notre séparation, j'ai décidé de changer de vie et de faire face à de nouveaux défis en allant habiter SEULE dans un petit appartement à un prix raisonnable, coin Goyette et Gamache, à Longueuil. Si cela ne vous dit rien, je tiens à vous dire que c'était près de la rue King-Georges, un coin de putains, de désaxés et de sans-le-sous. Pourtant, ce détail me semblait, à première vue, insignifiant puisqu'il était plus important pour moi de faire mes preuves en tant que jeune adulte.
J'y habitais depuis presque deux semaines quand l'évènement s'est produit et cet endroit commençait à peine à devenir un peu comme mon «chez-moi». C'était un demi sous-sol, à peine plus grand que me main, et avec un peu de potentiel je parvenais tout juste à y ajouter un brin de musique, de confort et de fantaisie. Je cuisinais gentiment un peu de saumon avec des légumes sautés sur mon nouveau-vieux four en espérant ensuite me reposer tranquillement devant l'écran de mon téléviseur tout en dégustant ma maigre pitance de jeune étudiante payée au salaire minimum. Je me suis assise tranquillement devant le film Harry Potter 2, ou 3 (nous avons tous nos plaisirs secrets) quand j'ai entraperçu une petite lumière bleue entre les stores baissés, bien sûr, de mon salon/chambre à coucher. J'en suis tout de suite venue à la conclusion que ce devait être les phares d'une voiture qui se reflétaient dans la vitre de mon salon, sans m'y attarder plus qu'il ne le fallait.
Ensuite, au moins une minute plus tard, j'aperçois à nouveau la mystérieuse petite lumière bleue. Cette fois-ci, elle n'est plus stable, elle va de haut en bas en clignotant. J'ai précipitamment déposé mon assiette sur ma causeuse pour finalement en avoir le coeur net: qu'est-ce qu'est cette lumière surnaturelle, voyons?! J'ai donc soulevé le coin du store en question pour regarder à l'extérieur, ma curiosité étant vivement piquée.
Pour commencer, je n'y voyais rien. Un certain laps de temps a dû s'écouler puisque ma vue devait s'adapter à l'épaisse noirceur que je tentais de fouiller du regard.
Enfin, tout a commencé à devenir plus clair... des pieds... des jambes... des hanches... des pantalons baissés... et une main qui faisait un mouvement de va-et-vient. Mon coeur s'est arrêté et j'ai subitement laissé retomber le store sur le mur comme s'il était brûlant. J'ai pris mon assiette et je me suis précipitée dans ma cuisine, qui était juste à côté, pour me cacher et rester en sécurité (même si l'heureux désaxé sexuel pouvait tout de même se tasser de deux pas pour pouvoir m'admirer par la fenêtre de ma cuisine).
J'ai réfléchi pendant quelques secondes: Oh non! Ce n'est pas un débile-mental-maniaque qui va me faire peur, l'arme au poing! Je ne suis pas une petite fille qui va s'enfuir, apeurée, en geignant! On ne se débarrassera pas de moi ainsi! J'ai posé bruyamment mon assiette sur la table, j'ai franchi la porte de mon deux-et-demi et je suis sortie par le portique du bloc pour aboutir, au final, devant la fenêtre de mon salon, toute bouleversée et les veines gonflées par l'adrénaline.
Personne. D'un côté de la rue, près du trottoir, c'était désert. De l'autre côté de la rue, c'était tout aussi vide et silencieux. Pas un chat. Rien. Pas de pervers avec de l'écume aux lèvres, prêt à m'attaquer, ni de fou qui fuit, les culottes aux pieds.
Déçue, je suis restée là, les bras ballants, à faire face à mille et unes questions que me posait ma conscience: que fais-je là!? J'aurais pu me faire violer sauvagement! À ce moment précis, une voiture s'arrête près de moi, sortie de nulle part. Deux policières: Est-ce que tout va bien, Madame? Et moi de leur répondre: Non, il y avait un gars, LÀ, qui se caressait devant ma fenêtre!!
Elles ont fait le tour du quartier afin de retrouver le gros pervers alors que je suis retournée chez moi, la tête un peu plus tranquille. Elles sont revenues me rassurer. Elles n'ont pas trouvé le pervers, il n'était plus là. Apparemment, ce devait être ce fou, ce malade mental, qui s'était enfui, dernièrement, de l'aile psychiatrique de l'hôpital Pierre-Boucher qui était située près de mon innocent appartement. Quelle chance!
Je n'ai pas déménagé malgré l'heureux évènement. J'ai habité là-bas pendant dix mois. Au départ, j'avais peur que la chose se reproduise. Avec le temps, un peu moins. Rien de tel n'est arrivé de nouveau. Des hommes lugubres nous demandaient parfois quels étaient nos honoraires quand nous marchions dans la rue, tard le soir, sans plus.
Depuis, je n'ose plus permettre à mes voisins d'admirer mon «chez moi», tard le soir, parce que mes rideaux sont mal fermés. J'aurais trop peur de revoir ce que j'ai déjà vu. Franchement, ce n'est pas tellement tentant...
Pourtant, je me demande souvent ce que devait penser de moi ce pauvre désaxé qui a dû être effrayé par ma spontanéité. Était-ce bien excitant de m'observer mastiquer longuement mes morceaux de brocoli tout en étant abrutie par mon téléviseur?! De quoi avais-je l'air lorsque j'ai été surprise par son arme? J'essaie parfois un peu trop de m'imaginer que c'était plus hilarant qu'insultant!